Histoires vraies des Chemla.
Histoire vécue (rue Lafayette)
Les enfants de Louise et d’Achille étaient 7 ; neuf personnes à nourrir, donc.
Les enfants n’avaient guère le droit de parler à table : un proverbe judéo-arabe s’énonce ainsi, couramment, quand un enfant ose parler : » Voilà que même les mouches se mettent à tousser ! » (hatta idebbenn ikoh !)
Mais un jour Armand, le plus jeune, avait été oublié lors du service : tous avaient eu de la viande, sauf lui, et personne ne s’en apercevait. Mais comment réclamer sa part sans s’exposer à une réprimande ?
Alors, Armand osa cette seule question : » Papa, à quoi ça sert, un couteau ? »
1936 : le Front populaire sort vainqueur des élections législatives : Robert était à Paris, et raconte…
C’était en 1936, la nuit où l’on proclamait les résultats partiels des élections législatives.
La foule était amassée devant l’immeuble, boulevard Montmartre, du journal « Le Matin », où, sur des panneaux lumineux on annonçait les noms des premiers élus.
L’ambiance était assez caractéristique puisque l’on entendait crier « Le Matin, presse pourrie !», « Le Matin, vendu ! ».
L’élection d’un député de droite était accueillie dans un silence assez hostile, celui d’un SFIO par des applaudissements et celui d’un PCF par des ovations.
Au moment où, sur un panneau, apparaît le nom d’un élu de droite, une dame, au milieu de nous, bien vêtue, un chapeau de paille fleuri sur la tête, leva sa main droite en signe de salut fasciste.
A la seconde son chapeau volait en l’air et certains s’apprêtaient à lui faire un mauvais parti.
Une voix forte alors s’éleva : « Camarades discipline ! ». La tension tombait aussitôt. On rendit son chapeau fleuri à la dame qui fut escortée et sortit sans encombre de la foule silencieuse.
Ce petit incident m’a d’autant plus impressionné qu’il répondait d’une manière spontanée, naturelle si l’on peut dire, à la propagande de la droite dont le slogan était : « Le font populaire, c’est le désordre, c’est la guerre ! ».
La guerre de Robert
Robert Chemla travaillait à Monoprix depuis 1937.
En 1939, il était en poste au Monoprix de Constantine, en Algérie. Un matin, il entendit à la radio l’annonce de la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne ; il se précipita à la caserne de l’armée française, non loin de chez lui.
La nouvelle de la déclaration de guerre n’était pas encore parvenue à l’officier de garde Robert demanda à s’engager immédiatement, pour combattre, aux côtés des soldats français, les nazis.
– De quelle nationalité êtes-vous ?
– Je suis tunisien. (les juifs tunisiens n’avaient pas bénéficié d’une loi, type « Loi Crémieux » en Algérie, leur octroyant collectivement la nationalité de la puissance colonisatrice ; nombreux étaient les juifs tunisiens de nationalité tunisienne).
– Mais vous n’êtes donc pas français ! Vous ne pouvez pas combattre en tant que tel.
– Et bien, si je ne suis pas français, versez-moi dans la Légion Etrangère !
– Mais c’est impossible, vous êtes « sous protectorat français », vous n’êtes pas étranger !
– Mais alors, que faire ? comment combattre ?
– Je ne vois qu’une solution : revenez demain, comme si vous n’étiez jamais venu. Et à la question sur votre nationalité, répondez-moi autre chose.
Et rendez-vous fut pris pour le lendemain.
Mais quand Robert revint le lendemain, « son » officier avait rejoint son régiment, en France. Et c’est donc devant un inconnu qu’il dût recommencer sa demande :
– Je veux m’engager dans l’armée française pour combattre les nazis.
– De quelle nationalité êtes-vous ?
– Je suis ITALIEN ; mon nom : Alberti Roberto.
– Très bien, monsieur Alberti, vous allez devenir légionnaire.
Il fit ses classes, fut démobilisé en même temps que toute l’armée franàaise, et reçut la médaille des anciens engagés volontaires…
Et voilà pourquoi, toute sa vie, Robert nous a dit être italien. Il l’avait vraiment été, pendant quelques mois ! Et son livret militaire faisait sa fierté.
Là où il n’y a pas d’homme, tâche d’être un homme….